Ancien Directeur de la Haute Compétition (DHC) au ministère des Sports, Souleymane Boun Daouda Diop a roulé sa bosse dans les coursives de l’Administration pendant trente-deux ans, avant d’aller à la retraite en 2019. Presque toute une vie ! Ce qui lui confère une certaine légitimité quand il s’agit de disséquer la problématique liée au sport, en général. Ce grand commis de l’État est toujours alerte et pointilleux dans sa démarche sans œillères, ni parti-pris, quand il s’agit d’évoquer les questions de l’heure qui touchent ce département. C’est plutôt avec la rigueur à lui connue et un phrasé cru qui peut parfois dérouter, qu’il s’attaque à son sujet. Interpellé sur les nouvelles mesures annoncées par la nouvelle cheffe du département, Khady Diène Gaye, il nous livre ses réflexions. Cash.
Le financement du sport
«Comme il est accepté de tous, l’argent est «le nerf de la guerre». Aujourd’hui, les rencontres sportives internationales sont devenues des champs de bataille où s’affronte la jeunesse des pays. Les victoires et les défaites sont analysées, à tort ou à raison, comme la suprématie d’une nation sur une autre. C’est pourquoi, tous les pays mobilisent énormément de moyens pour mettre leurs athlètes dans d’excellentes conditions de préparation et de participation aux compétitions.
Ces moyens se déclinent en infrastructures, formations, prises en charge médicales, diététiques et en motivation. Le constat est que, dans notre pays, l’essentiel des charges du sport est supporté par l’État, dont l’offre financière est loin de répondre à la demande du mouvement associatif. De plus, le financement du sport, qui obéit aux règles de comptabilité publique, n’est pas opérant. C’est pourquoi, une nouvelle politique de renforcement et de diversification des moyens financiers, mis à la disposition du sport sénégalais, est devenue une nécessité absolue.
À mon humble avis, quatre pistes sont à défricher. D’abord, il y a l’augmentation substantielle du budget de l’État alloué au sport, avec la perspective de l’exploitation de nos ressources naturelles (NDLR : gaz et pétrole). Cela doit être accompagné par la mise en place d’un fonds alimenté par des recettes publiques, servant exclusivement au développement et à la promotion du sport de masse, sur l’étendue du territoire national et au bénéfice de toutes les fédérations et groupements sportifs. Vient ensuite la mise en place d’une fondation alimentée par des fonds privés et qui sert à la prise en charge du sport de haut niveau. Enfin, il faut implanter une structure de solidarité, alimentée par les sociétés nationales et qui sert à l’insertion et à la réinsertion des sportifs d’élite en fin de carrière».
Accompagnement des clubs vers le professionnalisme
«Nous avons remarqué qu’en moins de 15 ans, le football sénégalais a changé de visage, le football professionnel y ayant beaucoup contribué. De plus, ce football participe aussi à la création d’emplois et permet à de jeunes Sénégalais d’exploiter tout leur potentiel dans les pays développés, pour ensuite revenir investir au pays.
C’est pourquoi l’État a le devoir d’accompagner le football professionnel, pour l’aider à amplifier les effets positifs de ce professionnalisme embryonnaire.
Cependant, la nature, l’ampleur et la durée de la contribution de l’État doit être l’objet d’une large concertation avec l’ensemble des parties prenantes du sport et du monde syndical. En effet, le professionnalisme va dépasser le cadre du football et du ministère des Sports, pour amener d’autres implications, surtout avec les milieux de la formation professionnelle et de l’emploi. Mais, le plus important demeure les voies et moyens de donner aux clubs les instruments leur permettant de pêcher, plutôt que de leur donner du poisson. Le professionnalisme est aussi possible avec la lutte avec frappe et le basket».
Adoption d’un nouveau Code des sports
«Il s’agit en réalité d’adopter un Code des sports et non un nouveau code, car, après 64 ans d’indépendance et une pratique plus que centenaire, notre pays n’a jamais disposé d’un Code du sport. Et c’est vraiment un paradoxe. Le seul texte qui administre notre sport est la Loi 84-59 du 23 mai 1984, portant Charte du sport. Il est évident que cette loi qui date de 40 ans et qui n’a jamais subi de modifications, est obsolète et inapte à encadrer la pratique sportive avec tous ses enjeux. En 2013, il y a eu une tentative d’élaboration d’un Code du sport. Le document est, depuis 2014, dans les tiroirs de la Primature.
Il va sans dire qu’un texte réglementaire du sport, datant de 10 ans, doit être forcément revu pour être réadapté à l’évolution exponentielle du règlement sportif. Mais, il est clair que des textes consensuels, fruits de larges concertations entre l’État, le mouvement associatif, les partenaires techniques et financiers du sport est plus que nécessaire, pour un sport performant».
Collectivités territoriales et installations sportives de proximité
«La loi N°96-07 du 22 mars 1996, portant transfert de compétences, a transféré aux collectivités territoriales neuf (9) compétences, dont le sport. Cependant, il est aisé de constater que nos collectivités territoriales ne disposent pas de ressources humaines, financières et matérielles, leur donnant les moyens de prendre en charge correctement le sport, surtout dans son volet infrastructures. C’est pourquoi cet accompagnement est normal.
Cependant, devant l’ampleur de la demande, il est nécessaire de mettre des conditions sur cet accompagnement. Et, j’allais simplement proposer que toute collectivité territoriale, souhaitant un accompagnement de l’État dans la construction ou la réhabilitation des infrastructures de proximité, devra participer aux coûts, à hauteur d’un pourcentage qui sera déterminé par les services compétents de l’État et des collectivités. Ainsi, les interventions de l’État auprès des collectivités seront plus objectives et plus rationnelles».
La promotion du tourisme sportif
«Il est évident que l’accueil de manifestations sportives d’envergure participe à la promotion du tourisme dans un pays. Beaucoup d’États l’ont si bien compris, qu’actuellement on assiste à une véritable compétition pour organiser les Jeux olympiques et autres grands évènements. Les pays arabes aussi, pour trouver des alternatives crédibles au pétrole, sont en train d’investir massivement dans le sport, pour booster leur économie touristique. En Afrique, des pays comme le Rwanda, l’Afrique du Sud ou le Maroc font des efforts importants dans ce sens.
Cependant, en ce qui concerne le Sénégal, il me semble risqué, pour le moment, de se lancer dans un programme de développement du tourisme sportif. Et ceci pour plusieurs raisons. D’abord, notre déficit en infrastructures sportives nécessite de lourds investissements pour être compétitifs dans les appels à candidature. Ensuite, nous manquons d’expérience dans l’accueil de manifestations sportives d’envergure, en sachant que la dernière grande rencontre sportive abritée par notre pays date de 1992, avec la Coupe d’Afrique des Nations. Enfin vient le faible pouvoir d’achat des Africains et la rareté des compétitions d’envergure en Afrique.
Ainsi, pour faire tourner la machine touristique à temps plein, il faudra se rabattre sur certains championnats du monde, ce qui est loin d’être évident avec la concurrence ».
Propos recueillis par Séga DIALLO