Certes, la charge pèse. Elle peut amener à perdre des réflexes de buteur, mais ne manque pas de fondement. Le talent des joueurs sénégalais l’autorise. L’orgueil du club phocéen et de ses supporters est aussi en jeu. Ses pelouses, cet orgueil est fouetté depuis le début de la Ligue 1 à travers des performances parfois en deçà des attentes. Malgré tout, la mobilisation des supporters de l’OM derrière la bande à Ismaïla Sarr ne faiblit pas. Elle ne s’estompera jamais.
À la sortie du métro rond-point du Prado, une foule se presse vers l’orange Vélodrome. Le stade scintille aux couleurs de l’Olympique de Marseille (OM) à l’extérieur comme à l’intérieur. Les symboles du club sont bien vivants.
Sur un fond musical de la légendaire mélodie de Van Halen, l’enceinte renoue avec une poussée de fièvre entretenue par une soif de vaincre. Elle s’est drapée de ses habituelles couleurs. Un immense OM en blanc sur fond bleu, le décor est habituel au virage Nord et Sud.
Le Vélodrome est à l’unisson au moment de recevoir l’AEK Athènes en Europa League, jeudi 26 octobre 2023. Les supporters grecs chantent leur fraternité avec ceux de l’OM dans un stade rempli à ras-bord.
Peu avant dix-huit heures, un déluge de cris et d’acclamations avait déjà escorté l’arrivée des joueurs pour l’échauffement. Drapeaux flottants dans les airs, pétards et fumigènes, l’ambiance habituelle était à son paroxysme.
Le match des tribunes a été évidemment à l’avantage de l’équipe qui reçoit. Pas de bronca à l’annonce des compositions des deux équipes, une heure avant le coup d’envoi. Un clapping débutait en haut d’une tribune, pendant que d’autres suivaient le rythme et le hurlement des noms des 22 acteurs.
À voir la gestuelle de certains joueurs enchaînant les courses sur la pelouse, il fait surtout un temps à mettre un pull sous le débardeur pendant l’échauffement. Titulaire, Iliman Ndiaye n’était pas dans le même groupe qu’Ismaïla Sarr, remplaçant, ce jour-là.
Depuis leur quart de virage, des Ultras se sont pris par les bras, dos au terrain, en sautant. Dans un stade Vélodrome bouillant, il n’est pas rare de lire un nom à consonance sénégalaise derrière la tunique d’un supporter. Il faut bien admettre qu’on ne s’y perd pas trop. Les maillots aux flocages «Guèye», «Sarr», «Ndiaye» sont nombreux.
Plus connus de par leurs patronymes
À Marseille, les joueurs sénégalais sont appelés par leur nom de famille et pas des moindres. Pas de «Ismaïla» ou de «Iliman». Mais, comme par révérence, certains parlent du défunt président de l’OM, en le nommant par son prénom. Le Marseillais ne reconnaît qu’un seul Pape, et c’est celui dont le nom de famille est Diouf et qui répondait au titre de président du club entre 2005 et 2009.
Quand un irréductible du Vélodrome parle Pape Alassane Guèye, suspendu par la FIFA, son prénom ne lui vient jamais à l’esprit. Et il ne faut surtout pas y voir une quelconque discrimination. «C’est juste anodin. Vous pensez que c’est fait exprès ou quoi, mais non, en fait non», s’étonne Bastien David, un supporter actif de l’OM. Le trentenaire avoue que «ça a toujours été comme ça». À admettre absolument. Appeler les footballeurs olympiens par leur nom de famille ne revêt nullement une connotation négative. Ça va de soi.
Les patronymes, entre autres, de l’ancien capitaine de l’OM, Mamadou Niang, ou encore de ses compatriotes, Habib Bèye et Souleymane Diawara, sont aujourd’hui très répandus sur le Vieux-Port. Ceux de Bamba Dieng, Sylvain Ndiaye et Bouna Sarr, contrairement à d’autres, n’ont pas totalement disparu des chicanes entre supporters marseillais. Seulement, le tic est contraire, ici qu’ailleurs.
Dans les vestiaires, Ismaïla Sarr et Iliman Ndiaye se font appeler respectivement «Isma» et «Ili ». Et on n’ira pas jusqu’à dire que c’est baroque. Par respect, les appellations sont d’abord approuvées par le joueur lui-même avant usage commun. Pas de moqueries à ce niveau.
«Isma» et «Ili» sous le regard du Vélodrome
L’attitude des plus fervents supporters de l’OM envers les joueurs sénégalais a été scrutée quand l’Olympique de Marseille recevait l’AEK Athènes, jeudi 26 octobre. Iliman Ndiaye était sur le côté gauche de l’attaque, aux côtés de Vitinia et Harit.
Dès l’entame du match d’Europa League, l’ancien joueur de Sheffield United avait montré ses qualités de dribbleur, mais aussi une face un peu sombre, avec quelques occasions manquées. Son manque de réussite avait fait sauter le public déçu de voir autant d’occasions de but gâchées par Ndiaye.
Il suffit d’avoir vu les neuf premières journées de Ligue 1 pour avoir du mal à le croire : il n’y a pas eu beaucoup de matchs où l’attaquant sénégalais de l’OM n’a pas donné l’impression d’être dans les meilleures dispositions, mais manque parfois l’opportunité d’ouvrir le score.
«Ili», pas en réussite à la finition, s’était raté au moment de conclure deux occasions en début de match retour du troisième tour préliminaire de la Ligue des champions, en août, contre Panathinaïkos (2-1, TAB 3-5).
Compteur buts bloqué à 1
Il lui avait manqué ce petit brin de réussite au match suivant à Metz (2-2), pendant lequel Ndiaye avait touché le poteau. «Avec les occas’ qu’il a, il devait être le meilleur buteur du club. À l’inverse, il reste tourmenté par des balles ratées», estime un fan olympien.
Le n°29 de l’OM aurait pu faire mieux qu’un missile sur la transversale face à l’Ajax (3-3). Malgré son tout premier but sous les couleurs de l’OM contre Monaco, le club phocéen avait concédé la défaite (3-2,7èmej. Ligue 1). Inscrit après 31 secondes, c’était le but le plus rapide pour Marseille en Ligue 1 depuis 2014.
Le Sénégalais avait survolé une grande partie du match face au Havre (3-0, 8ème Ligue 1), malgré un manque de réussite pour le break. Ndiaye peut regretter son manque d’efficacité en loupant l’égalisation contre Nice (1-0, 9ème Ligue 1). Le deuxième but de la saison est toujours dans un coin de sa tête, selon des habitués du Vélodrome.
Pour Ismaïla Sarr, des supporters estiment qu’il «doit montrer davantage d’arrogance» comme il le faisait en Premier League. Il faut noter que l’ailier sénégalais de Marseille s’est montré sous son meilleur jour face au Havre (3-0), contre Nantes (1-1) et Brest (2-0), dont il était l’un des buteurs de l’OM.
«Mouilles le maillot ou casses- toi»
Au fond, analyse un supporter phocéen serein, il y a les changements d’entraîneur à l’OM qui n’encouragent pas trop le joueur à «se stabiliser». Peut-être que le plus facile a été fait avec Marcelino et que le plus dur arrive avec Gattuso.
À l’arrivée de ce dernier, Sarr et Ndiaye ont vécu, comme tous les joueurs phocéens, les aventures de l’Olympique de Marseille, débitées par une crise de gouvernance. Il s’en est suivi les remontrances du Commando Ultra 84, la plus ancienne confrérie siégeant au Vélodrome, après le nul (0-0) décevant face à Toulouse. Ce dimanche 17 septembre, des « mouilles le maillot ou casses toi» ont été entonnés au Vélodrome.
Blessé, c’est depuis la tribune du Vélodrome qu’Ismaïla Sarr avait suivi cette scène après la rencontre de la 5ème journée de Ligue 1. Depuis, la pression sur les joueurs ne faiblit pas. Jouer à l’OM, un mastodonte du football français, n’est pas de tout repos.
Choix de carrière et de vie sous pression
À chaque match, les virages marseillais grondent avant d’applaudir brièvement les joueurs obligés d’aller remercier le public à la fin. Les fans olympiens semblent ne pas avoir de limite dans leur jugement hostile et insultes en cas de défaite.
Les Sénégalais ayant signé à l’OM, l’été dernier, ont fait un choix de carrière, au-delà de la dichotomie entre la passion et l’argent. D’un choix de carrière et de vie qui les met au centre des radars du football, aux faisceaux médiatiques trop souvent intenses sur le Vieux-Port, où le foot rime avec la pression et beaucoup de passion.
Ndiaye et Sarr, à l’instar de leurs coéquipiers, expérimentent toujours le grand frisson à chaque fois qu’ils revêtent le maillot du «club le plus africain» en France. L’expérience accumulée cette saison doit leur permettre de résister à la pression du public sur leurs épaules.
Bamba DIAGNE, envoyé spécial à Marseille (France)